SEQ : Le géant du papier est au bout du rouleau

Le géant du papier est au bout du rouleau.

source : Article du JDD par Mme Bruna Basini

INDUSTRIE : En crise depuis dix ans, Sequana a coûté cher à l'Etat, aux banques et à ses actionnaires.
RISQUE : Le groupe attend une décision de la justice anglaise qui pourrait lui coûter 135 millions d'euros.

Heureusement que Pascal Lebard a le cuir épais. Voilà plus de dix ans qu'il s'échine à sortir de l'ornière Sequana, le leader européen de la distribution de papier et de la fabrication de papiers de spécialité. Les industriels du secteur ont eu droit à tout : implosion de la demande avec l'arrivée d'internet, crise des subprimes et hausse des matières premières. L'engrenage infernal a fait s'écrouler le cours de bourse de Sequana et fondre de plus de 50% ses volumes de production. Depuis un autre caillou - un procès fleuve avec le géant du tabac BAT (British American Tobacco) s'est glissé dans les richelieus de Pascal Lebard. Une vieille affaire de pollution de rivière aux Etats-Unis par plusieurs fabricants de papier, dont une filiale de Sequana, qui assombrit son avenir. Le groupe a cédé la société, souscrit une assurance pour ce sinistre. Rien n'y fait. Procédurier, BAT lui réclame 135 millions d'euros plus les frais (une quinzaine de millions). En 2017, il a protégé ses actifs en plaçant Sequana sous sauvegarde et en mettant en bourse Antalis, son pôle distribution. La décision - imminente - de la Haute Cours de Justice de Londres saisie par BAT obligerait, toutefois le papetier à rembourser le cigarettier pendant dix ans en cas de condamnation.

Un patron qui marche sur un volcan

Optimiste de nature, le PDG se dit "confiant sur l'issue du procès" et conscient que "l'aléa judiciaire subsiste". Mais depuis le retournement du marché, le champion français vit dans le rouge. "Nous tenons le choc depuis dix ans sur un secteur en forte décroissance" tempère le dirigeant. Sequana est une histoire du roman industriel français qui n'a fait quasiment que des perdants. Sa résilience est le fruit de cessions d'actifs sous pression, d'abandons massifs de dettes, d'apports de fonds publics et du siphonnage des intérêts des petits porteurs.

Aujourd'hui le groupe est acculé à céder les dernières activités d'Arjowiggins, son pôle de production. Il ne tient plus que sur une jambe, la distribution, coiffée par Antalis, qu'il veut faire grossir en rachetant ses concurrents. Fini les usines fumantes (en cours de cession); place aux entrepôts remplis de palettes de papier, emballages en carton et supports de communication visuelle !
Premier sur la ligne de front, le patron reconnait que si c'était à refaire, il y réfléchirait à deux fois.
L'aventure papetière a coûté une douce fortune à la holding familiale des Lebard. Pourtant en 2007, tout avait démarré sous les meilleures auspices. A l'époque, l'ancien banquier d'affaires gère un portefeuille recentré sur le papier pour deux gros actionnaires, les Clive Worms et les Agnelli. Rentable, le groupe réalise 4 milliards d'euros de chiffre d'affaires. Pascal Lebard a 45 ans. Avec son "deal maker" de père, Daniel, il décide de prendre la direction et 21,9% de Sequana. Erreur. Car le marché commence à piquer du nez "manque de vista et manque de chance analyse un proche. Depuis le groupe est un couteau qui tombe et Pascal marche sur un volcan".
Pour sauver les meubles, le dirigeant repositionne le groupe sur la production de papier de spécialité et développe la distribution, le tout à coups de cessions et acquisitions d'actifs, d'augmentations de capital et de crédits bancaires. Et manque l'occasion de céder ses papiers de sécurité (billets de banque, cartes d'identité...) recherchés en 2013 par un fonds d'investissement.

Un leader dans les petits papiers de l'Etat pompier

En 2012, le CIRI (Comité Interministériel de Restructuration Industrielle) intervient avec le FSI (Fonds Stratégique d'Investissement). Ils redoutent un accident industriel à la Boussac. Sequana est devenu un dossier politique à mèche lente risquant de provoquer des fermetures d'usines et des licenciements, et d'embraser la filière du bois et le syndicat du livre. Le FSI puis Bpifrance, qui lui succède; lui apportent en fonds propres près de 65 millions d'euros. Premier actionnaire du papetier avec une participation de 15,4%, la banque publique lui prête aussi 69 millions. En tout, elle a engagé 135 millions (hors intérêts) de fonds publics. Trop gros pour faire faillite, Sequana ?
"On est le dernier grand industriel du papier du pays et on mène un repositionnement à marche forcée" plaide Pascal Lebard. Mais l'investisseur Bpifrance ne sort pas indemne de cette aventure. Devenu le principal créancier de la société, il pratique pour se couvrir des taux d'intérêts de 12% et a pris des garanties sur les trois quarts des titres de sa filiale Antalis, dont il possède 8,54% du capital.

Pour les minoritaires, Sequana rime avec Bérézina.

Détenteurs de 75,20% de la holding de tête et de 14,64% d'Antalis, ils ont pour certains perdu jusqu'à 93% de leur mise. En janvier 2011, les actions Sequana dépassaient les 30 euros contre 30 centimes aujourd'hui. Celles d'Antalis ont dévissé de 3 euros, lors de leur introduction l'an dernier à 1 euro. "Le CIRI est content. Il a évité l'hémorragie économique et sociale. On a rassuré les salariés, leurs syndicats, les élus mais nous, les petits porteurs, sommes les vrais dindons de la farce" s'insurge Daniel Pichot, Président de l'association ASAMIS qui réunit des petits porteurs depuis fin 2016.
Les minoritaires pestent aussi contre la gestion Lebard, le maintien de sa rémunération fixe (900.000 euros) et variable (de 900.000 à 250.000 euros) et la négociation d'une indemnité de départ de plus de 2 millions d'euros. "On nous jurait que chaque restructuration serait la dernière. Maintenant, le litige BAT plombe les cours et sauver Antalis qui n'emploie plus que 500 personnes en France, n'intéresse plus le CIRI" ajoute-t-il.

Jacques Veyrat, investisseur furtif et futé

Les 14 banques qui ont financé Sequana, ont, elles abandonné en 2015 près de 200 millions d'euros de créances, replacé 230 millions sur Antalis et vendu le solde quelque 120 millions, sur le marché de la dette avec une forte décote. C'est Jacques Veyrat, lequel a fait la fortune du groupe de négoce de Robert Louis Dreyfus, qui via sa société d'investissement Impala, en rachète alors la totalité en 3 semaines avec une option portant sur 20% du capital du groupe. "il a fait une très belle opération avec nous", reconnait Pascal Lebard.
Veyrat effaçait 120 millions de dettes et recevait en échange 2 pépites dans la sécurité (Arjosystèmes et Arjosolutions) et 20% de Sequana. Il cède aussi l'intégralité de cette participation pour près de 25 millions d'euros.
L'année suivante, il vendra Arjosystèmes à l'américain HIDGLOBAL pour dit-on, "un très bon prix". Arjosolutions fabricants d'étiquettes traçables est encore en développement chez Impala. Sans doute, son prochain coup gagnant.