Série : « Un abus de minorité ! » – S01E03 – Une trésorerie excédentaire, mais aucun dividende et aucune stratégie d’investissement

Un abus de minorité !

Épisode 3 – MBWS : une trésorerie excédentaire, mais aucun dividende et aucune stratégie d’investissement

Introduction

Dans les épisodes précédents, nous avons montré comment la COFEPP a progressivement pris le contrôle de MBWS : d’abord en contournant l’OPA obligatoire grâce à deux dérogations obtenues auprès de l’AMF, puis en renforçant sa position par le biais d’augmentations de capital successives. Ces étapes ont révélé un déséquilibre profond entre un actionnaire majoritaire et des actionnaires minoritaires, qui n’ont jamais bénéficié d’une contrepartie équitable.

Un autre sujet prolonge cette réflexion : la trésorerie excédentaire de MBWS. Depuis plusieurs exercices, la société affiche une situation financière assainie, avec une trésorerie nette positive, aucun endettement bancaire significatif et des résultats redevenus bénéficiaires. Pourtant, malgré ce profil solide, aucun dividende n’a été versé.

La direction justifie ce choix par des projets d’investissement à venir. Mais en réalité, ces projets se résument à des CAPEX[1] limités : environ 7 M€ en 2022, 8,5 M€ en 2023 et 9 M€ en 2024, soit moins de 20 % de la trésorerie disponible. Rien qui ressemble à une stratégie de transformation.

La question devient donc centrale : si MBWS n’investit pas massivement et n’a pas de dettes à rembourser, pourquoi conserver une telle trésorerie au lieu d’en redistribuer une partie aux actionnaires ?

C’est à cette question que vont répondre Daniel Pichot, président de l’ASAMIS, et David Meurisse, représentant du Concert MBWS, dans un entretien croisé.

1. La situation financière de MBWS et de COFEPP

Daniel Pichot : Les chiffres sont parlants : fin 2024, MBWS affichait près de 48 M€ de trésorerie nette, aucun endettement bancaire significatif, et un résultat net positif de 7 M€. Pourtant, malgré cette solidité, aucun dividende n’a été versé depuis plusieurs années. Pour les actionnaires minoritaires que nous représentons, c’est une aberration : ils voient l’entreprise accumuler des réserves, mais sans en bénéficier directement.

David Meurisse : C’est vrai. Mais il faut aussi souligner que cette solidité financière donne à MBWS une marge de manœuvre appréciable. Dans un secteur très compétitif, où de nombreux acteurs sont fragilisés, disposer d’un tel niveau de liquidité constitue un atout stratégique. La vraie question est de savoir comment transformer ce coussin de trésorerie en création de valeur tangible.

Daniel Pichot : Par ailleurs le groupe COFEPP dispose d’une situation financière également sur capitalisée (en l’absence de versement de dividendes depuis toujours).  En 2023, COFEPP a investi notamment 60 M€ pour acquérir 80% dans VINUS qui détient 100% de SODIKO, entreprise qui produit 50 millions de cols par an d’une gamme de produits très large en particulier peu alcoolisés et pétillants. SODIKO dégage une bonne rentabilité et représente une diversification intéressante pour le groupe…

David Meurisse : Sans préjuger des comptes COFEPP 2024 qui ne sont pas encore publiés (alors qu’à la même époque en 2024, les comptes 2023 étaient publiés depuis le 10 juillet) on peut estimer que l’exercice 2024 a permis à la COFEPP de renforcer encore ses capitaux propres déjà très élevés et de supporter aisément cet investissement. Toutefois, il aurait très bien pu se faire au niveau de MBWS pour renforcer son pôle sans alcool ou à faible teneur d’alcool.

2. L’argument officiel : une stratégie d’investissement

Daniel Pichot : D’autant plus qu’officiellement, la direction justifie cette accumulation de trésorerie chez MacceBWS par des projets d’investissement. Depuis 2020, on entend le même discours : moderniser les sites industriels, renforcer la notoriété des marques phares, développer l’international. Mais en pratique, ce sont des annonces répétées, rarement suivies d’initiatives concrètes.

David Meurisse : En 2024, MBWS a effectivement engagé environ 9 M€ de CAPEX, notamment pour la modernisation du site Sobieski en Pologne ou l’augmentation de capacité en Lituanie. Mais soyons clairs : il s’agit de dépenses de maintenance ou de modernisation, indispensables certes, mais qui ne consomment qu’une fraction de la trésorerie. Aucun de ces projets n’a l’ampleur d’une transformation stratégique. Avec près de 50 M€ disponibles, MBWS pourrait envisager des acquisitions ciblées, des alliances internationales ou des programmes marketing d’une tout autre dimension. On nous parle d’investissements d’avenir, mais en réalité, ce sont surtout des capex courants, loin d’une stratégie ambitieuse.

3. Des projets annoncés mais jamais réalisés

Daniel Pichot : Le problème, c’est la répétition. Depuis 2020, la direction affirme à chaque assemblée générale que la priorité est d’investir pour restaurer la compétitivité. Mais au bout de quatre ans, le constat est le même : aucun projet majeur, aucune acquisition structurante, aucun plan massif de développement international. Lors de l’assemblée générale de juin 2025, encore, une opération de croissance externe a été annoncée « d’ici quelques mois » — trois mois plus tard, aucune avancée n’est visible. Les minoritaires que l’ASAMIS représente se sentent trompés : ce discours d’« investissements à venir » ressemble davantage à une manière d’écarter la question des dividendes qu’à une vraie feuille de route.

David Meurisse : Je comprends ce sentiment. Mais il faut replacer les choses dans leur contexte. Le secteur est sous pression : inflation des matières premières, hausse des coûts logistiques, concurrence exacerbée des grands groupes internationaux. Dans ce climat, conserver une réserve financière raisonnable est une démarche saine et prudente.

Cela dit, le Concert MBWS est clair : au-delà de ce fonds de sécurité, il faut trancher. Soit MBWS présente un plan ambitieux, structuré et chiffré, et nous le soutiendrons pleinement. Soit, en l’absence d’un tel plan, une partie de la trésorerie doit être redistribuée aux actionnaires.

4. La position du Concert MBWS

Daniel Pichot : Donc, si je vous comprends bien, la position du Concert MBWS n’est pas de réclamer un dividende à tout prix, mais de demander de la cohérence ?

David Meurisse : Exactement. Nous ne sommes pas dans une logique de court-termisme. Si un plan d’investissement sérieux se matérialise, créateur de valeur pour l’entreprise et ses actionnaires, nous serons les premiers à le soutenir. Mais ce que nous refusons, c’est l’immobilisme. Accumuler près de 50 M€ de trésorerie sans plan concret, alors que les CAPEX annuels n’excèdent pas 10 M€, n’a pas de sens. Dans ce cas, une redistribution partielle s’impose, car la trésorerie n’appartient pas au seul management ni à l’actionnaire majoritaire, mais à l’ensemble des actionnaires.

5. Le cœur du débat : l’intérêt social

Daniel Pichot : C’est là que réside la vraie fracture. L’intérêt social doit guider l’entreprise. Si la trésorerie est utilisée pour financer une croissance rentable, personne ne s’y opposera. Mais si elle reste dormante, sans projet, alors il s’agit ni plus ni moins que d’une privation de revenu légitime pour les minoritaires.

David Meurisse : C’est pour cela que nous parlons d’équilibre. L’intérêt social ne se résume pas à thésauriser. Il suppose de respecter les droits de tous les actionnaires. Avec zéro dette, près de 50 M€ de trésorerie, et moins de 20 % utilisés en investissements en 2024, le statu quo ne peut pas durer.

Ce décalage devient d’autant plus frappant lorsqu’on observe les initiatives de la COFEPP. Tandis que MBWS reste dans l’inertie, son actionnaire majoritaire poursuit une stratégie d’expansion soutenue, directe ou indirecte, avec plusieurs acquisitions significatives réalisées au cours des trois dernières années : SODIKO et Generous Gin et Island Signature Rum (Ôdevie Creative Spirits, 2023), la distillerie néerlandaise Hooghoudt (2024), le rhum Ron Cacique (2025), ainsi que Warner’s Distillery au Royaume-Uni (2025). COFEPP affiche clairement sa volonté de maintenir cette dynamique, portée par un contexte de marché favorable.

Cette asymétrie interroge : alors que MBWS thésaurise sans cap clair, la COFEPP mobilise ses ressources pour renforcer son portefeuille. Cela soulève une question centrale — celle de l’allocation des ressources et de la cohérence stratégique entre MBWS et son actionnaire de référence.

6. Une asymétrie troublante entre MBWS et sa maison-mère

Daniel Pichot : Et ce qui alimente encore la frustration des minoritaires, c’est un signal inquiétant :  au 1er semestre 2025 MBWS publie un chiffre d’affaires et un cash-flow en déclin malgré une hausse de sa rentabilité, dû à un déréférencement en grande distribution de William Peel, alors même que des perspectives rassurantes sont évoquées pour sa maison-mère relatives aux marques COFEPP qui dores et déjà voit les ventes de ses whiskys Label V et Sir Edwards bénéficier du déréférencement qui fait justement souffrir MBWS. Ce décalage interpelle. Il soulève une question de fond sur l’allocation des ressources et sur la répartition de la valeur créée. Les membres de l’ASAMIS, comme beaucoup de minoritaires, ne peuvent qu’être troublés par cette asymétrie apparente, d’autant plus qu’ils n’ont aucun levier d’intervention direct pour en comprendre les mécanismes ou en corriger les effets.

David Meurisse : C’est précisément pour prévenir ce type de dérive que nous appelons à une gouvernance plus ouverte et plus représentative. Le Concert MBWS détient aujourd’hui une part significative du capital, mais reste exclu des instances décisionnelles. Cette situation devient intenable lorsque des signaux contradictoires apparaissent : d’un côté, une performance affaiblie chez MBWS ; de l’autre, une dynamique florissante chez COFEPP. Dans ce contexte, une transparence totale sur les flux financiers, les arbitrages stratégiques et les priorités d’investissement est indispensable.

Depuis plus d’un an, le Concert détient plus de 10 % du capital. Pourtant, sa demande d’un siège au conseil d’administration est systématiquement rejetée. À l’inverse, Diana Holding, avec seulement 3,6 % du capital, occupe deux sièges — dont celui de Madame Zniber, régulièrement vacant - D’ailleurs, elle est aussi absente des assemblées générales depuis au moins deux ans. Cette asymétrie soulève une véritable question de gouvernance.

Nous ne pouvons plus nous contenter d’un rôle d’observateur. Il est impératif que des représentants du Concert siègent au conseil d’administration. Non pas pour entraver, mais pour éclairer, interroger, et garantir que les décisions prises servent l’intérêt social de MBWS dans son ensemble — et non exclusivement celui de son actionnaire majoritaire.

C’est une exigence de bon sens, une condition minimale pour restaurer la confiance et éviter que la gouvernance ne devienne un outil d’opacité ou de captation.

Conclusion

Daniel Pichot : Cet épisode montre que les frustrations de beaucoup de minoritaires ne se limitent pas aux épisodes passés d’augmentations de capital. Elles concernent aussi le présent : une entreprise saine, liquide, mais qui ne redistribue rien, n’investit pas à la hauteur de ses moyens, et dont la gouvernance reste verrouillée. Et quand des signaux laissent penser que la performance future de MBWS pourrait être volontairement affaiblie, alors que celle de sa maison-mère s’annonce florissante, le sentiment d’un déséquilibre organisé devient difficile à ignorer.

David Meurisse : De notre côté, nous restons constructifs. Nous savons que les forces vives de MBWS — ses équipes, son management, ses marques — continuent de créer de la valeur. Mais cette valeur doit aussi se traduire pour les actionnaires. La ligne est simple : soit la trésorerie finance un projet de croissance ambitieux, soit une partie doit revenir aux porteurs. Et surtout, cette allocation doit être décidée dans un cadre de gouvernance transparent, équilibré, et représentatif. C’est pourquoi nous demandons que des membres du Concert MBWS siègent au conseil d’administration. Non pour s’opposer, mais pour garantir que les décisions prises servent l’intérêt social de l’entreprise dans son ensemble.

Daniel Pichot : Est-ce un « abus de minorité » que de demander à être représenté au sein des instances décisionnelles de MBWS ? Certainement pas. Cette demande de représentation est une exigence légitime, fondée sur le bon sens et le respect des droits fondamentaux des actionnaires. Et cela nous conduit naturellement vers un autre sujet clé : la gouvernance de MBWS. Comment les organes de décision ont-ils été progressivement verrouillés ? Et pourquoi les minoritaires peinent-ils tant à faire entendre leur voix ? Ce sera l’objet de notre prochain épisode.


[1] CAPEX = Capital Expenditures = dépenses engagées pour acquérir, améliorer ou entretenir des actifs physiques ou incorporels à long terme.
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