Un abus de minorité !
Épisode 2 – Comment la COFEPP a pris le contrôle de MBWS
Après avoir présenté le rôle du Concert MBWS dans le premier épisode, nous nous penchons sur un tournant décisif : la prise de contrôle de MBWS par la COFEPP à partir de 2019. L'enchaînement des événements a laissé un goût amer à de nombreux actionnaires minoritaires, qui se posent encore aujourd'hui les mêmes questions : Comment la COFEPP a-t-elle pu franchir les seuils de participation décisifs sans lancer d'offre publique d’achat (OPA) ? Y a-t-il un lien entre la montée en puissance de la COFEPP et la chute de la valorisation de MBWS ? Un actionnaire majoritaire peut-il réaliser une plus-value significative lors d’une augmentation de capital sans en faire bénéficier les minoritaires ? Ces questions méritent une analyse approfondie.
Si le passé soulève de sérieuses interrogations, l’avenir, lui, dessine des perspectives plus constructives. Les forces vives de MBWS – ses salariés, ses équipes opérationnelles et son management industriel – continuent de créer de la valeur. Ses marques phares, comme William Peel et Sobieski, conservent tout leur potentiel. C'est sur cette capacité de résilience que le Concert MBWS mise pour l’avenir. Dans un contexte de marché difficile, l’absence d’OPA immédiate pourrait paradoxalement jouer en faveur des minoritaires. En s'inscrivant dans le temps long, ils misent sur une valorisation future bien plus élevée.
Pour y voir plus clair, voici une discussion entre Daniel Pichot, président de l’ASAMIS, et David Meurisse, représentant du Concert MBWS.
1. Une montée progressive au capital
David Meurisse : Pour comprendre l'ampleur de ce qui s'est passé en 2019, il faut revenir sur les années précédentes. La COFEPP n'est pas arrivée en "chevalier blanc" au moment de la crise. Au contraire, elle s’est installée progressivement au capital de MBWS dès 2015. Elle a franchi méthodiquement les seuils de 11 %, 16 %, 22 % et 27 % pour atteindre 29,47 % du capital en septembre 2017.
Daniel Pichot : Soit juste en deçà de l'obligation de lancer une OPA. Ce n’est pas un hasard. Dans le rapport de gestion du directoire sur les comptes 2018 de la COFEPP, déposé le 11 octobre 2019, on peut lire : « Au 31/12/2018, nous détenions toujours 29,4 % du capital de la société Marie-Brizard (MBWS). Il ne nous était pas possible d’augmenter ce pourcentage sauf à lancer une OPA sur la société, tant que l’Autorité de la Concurrence (ADLC) n’avait pas rendu sa décision. » Le Président du Directoire admet lui-même avoir cherché à éviter une OPA pour ne pas avoir à payer le prix que la valeur réelle de l’entreprise aurait dû entraîner.
David Meurisse : Et ce qui est encore plus révélateur, c'est qu'au-delà de ces pourcentages de détention, l'influence de la COFEPP était déjà déterminante bien avant l’assemblée générale du 31 mars 2019.
2. Une influence déterminante avant 2019
Daniel Pichot : Les autorités n’ont pas tardé à le constater. Dans sa décision du 12 avril 2022 (22-D-10), l’Autorité de la concurrence a conclu que la COFEPP exerçait déjà une influence déterminante sur MBWS dès avril 2018. La présence de personnalités liées à la COFEPP au conseil d’administration s’est renforcée au fil des années : un administrateur en 2015, deux en 2016, puis trois sur onze entre 2017 et 2019. Tous étaient des cadres dirigeants de la galaxie COFEPP.
Ces administrateurs avaient accès à des informations stratégiques de premier ordre : projets de budget, prévisions de rentabilité, politiques commerciales par marque, volumes de ventes par zone géographique. Certaines de ces données ont même été partagées en interne, malgré un accord de confidentialité signé en 2018. Ce constat a conduit l’Autorité de la concurrence à sanctionner la COFEPP d’une amende de 7,3 millions d’euros. C'est la preuve que l’influence était réelle et bien ancrée avant la prise de contrôle officielle.
3. Une concomitance troublante : montée en puissance et effondrement boursier
Daniel Pichot : Ce qui frappe, c’est qu’au moment même où la COFEPP s’imposait comme actionnaire de référence, la valeur de l’entreprise pour les minoritaires fondait comme neige au soleil.
David Meurisse : C’est la chronologie qui interpelle. Alors que la COFEPP montait en puissance au capital, la valorisation de MBWS s’effondrait. L’action est passée de plus de 22 € fin 2015 à environ 2,6 € fin 2018. Sur le plan opérationnel, le résultat est passé de +15,4 M€ en 2016 à -72,7 M€ en 2017. La situation s'est dégradée de façon spectaculaire.
4. 2019 : la bascule
Daniel Pichot : La fin 2018 marque un tournant. Le protocole d’accord du 21 décembre ouvre la voie à une augmentation de capital, prélude à la prise de contrôle.
David Meurisse : Le 1er mars 2019, une augmentation de capital de 37,7 M€, réservée exclusivement à la COFEPP, est réalisée au prix de 4 € par action. En avril, un programme de BSA suit pour 20,7 M€, dont 15 M€ souscrits par la COFEPP. Au total, 58,4 M€ sont injectés en 2019, ce qui propulse la COFEPP à 50,96 % du capital et 47,26 % des droits de vote. Ce franchissement aurait normalement dû déclencher une OPA obligatoire.
5. La dérogation de l’AMF
David Meurisse : C’est là que le mécanisme de protection a été désamorcé. Normalement, franchir le seuil des 30 % déclenche une OPA obligatoire pour que les minoritaires puissent vendre leurs titres. Mais dans ce cas, l'AMF a accordé à la COFEPP une dérogation. L’argument avancé était que le sauvetage de MBWS nécessitait une action rapide et qu’une OPA aurait pu compromettre ce plan.
Daniel Pichot : Cette dérogation a eu une conséquence directe : elle a privé les minoritaires d’une contrepartie financière. Le mécanisme de l'OPA, qui existe précisément pour protéger les petits porteurs, a été neutralisé.
6. 2021 : l’effet de levier de la dette
Daniel Pichot : En 2021, la logique s'est poursuivie avec une nouvelle augmentation de capital encore plus massive, de l’ordre de 100,9 M€, permettant à la COFEPP de verrouiller définitivement son contrôle en détenant la majorité des droits de vote.
David Meurisse : C'est exact. En fin décembre 2020, MBWS avait accumulé des pertes importantes, et le cours de l’action se situait autour de 1,48 €. L'opération visait donc à recapitaliser le groupe. Cette deuxième augmentation de capital, en janvier 2021, s’est faite au prix de 1,50 € l’action, avec des DPS (droits préférentiels de souscription). Elle a permis à la COFEPP de passer à 70,06 % du capital. L’AMF a émis une nouvelle dérogation à l’obligation de lancer une OPA en raison des difficultés financières de MBWS.
Daniel Pichot : Une des clés de cette opération est l’effet de levier. La COFEPP avait racheté 46 M€ de dettes bancaires pour seulement 28 M€. En convertissant ces créances à leur valeur nominale en capital de MBWS, elle a généré une plus-value latente estimée à 18 M€. Les autres actionnaires de l’époque (BDL, Diana, et les autres minoritaires) n’ont pas pu participer à cette opération
David Meurisse : Il s’agissait pourtant de négociations confidentielles entre, d’un côté, un créancier qui désirait récupérer une partie de sa mise et, de l’autre, un repreneur prêt à prendre le risque de racheter sa créance, mais à un prix substantiellement décoté.
Il faut reconnaître que grâce à ses apports en compte courant et ces deux augmentations de capital, la COFEPP a permis à MBWS de survivre en apportant les liquidités dont le groupe avait cruellement besoin. Certains y voient une manœuvre délibérée pour provoquer la chute de MBWS et en prendre le contrôle à moindre coût ; d’autres, l’intervention d’un sauveur. La réalité se situe sans doute entre les deux.
Daniel Pichot : L’ASAMIS a largement documenté la prédominance sans concession de la COFEPP dans la recapitalisation de MBWS. À plusieurs reprises, nous avons montré que ses manœuvres avaient conduit à une dilution historique de la valeur détenue par les actionnaires minoritaires.
David Meurisse : La COFEPP est un groupe qui a largement fait ses preuves, avec une stratégie de consolidation et d’acquisition de marques impressionnante, menée dans une grande discrétion. Elle a habilement optimisé son prix de revient selon ses propres intérêts, ce qui lui permet aujourd’hui de détenir près de 80 % du capital sans avoir eu à payer de prime de contrôle, tout ayant réalisé une plus-value de 18 M€ grâce aux rachats de créances.
Le Concert MBWS considère que ces mécanismes relèvent d’une approche de saine gestion. Sur le plan strictement financier, la COFEPP s’est révélée redoutablement efficace et cela auraient dû se traduire par une progression des fondamentaux de l’entreprise. Et c’est sur le plan boursier que le constat est plus nuancé. Malgré les recapitalisations massives et les efforts consentis, le cours de l’action est resté quasiment stagnant pendant plusieurs années. C’est là tout l’enjeu : transformer un avantage technique réservé à l’actionnaire majoritaire en une création de valeur durable et visible pour l’ensemble des actionnaires, notamment les minoritaires.
Daniel Pichot : Le Concert MBWS se focalise donc sur le potentiel de croissance de MBWS et l’amélioration de son résultat et, par conséquent, de sa valeur ?
David Meurisse : C'est exactement notre philosophie. Nous pensons que plus le temps passe, plus la valeur de MBWS se reconstruit avec des leviers sur la marge important (que nous aborderons plus tard). Il est essentiel de regarder l’avenir. Les forces vives de MBWS font un travail remarquable. Les marques historiques – William Peel, Sobieski, Marie Brizard, Gautier – ont gardé leur vraie valeur et leur potentiel est grand. Les salariés et le management opérationnel redressent la compétitivité. Le Concert MBWS s'inscrit pleinement dans cette dynamique et nous confirmons notre volonté de participer à cette aventure avec conviction et transparence. Voilà pourquoi nous restons attentifs à tous les facteurs qui pourraient opacifier la saine administration de la société.
Conclusion
Daniel Pichot : En résumé, l’histoire capitalistique de MBWS est marquée par des épisodes tumultueux, mais il ne faut pas perdre de vue l’essentiel : le potentiel de l’entreprise reste intact. Ses équipes, son management opérationnel et ses marques continuent de créer de la valeur. C’est cette dynamique qui, à terme, doit bénéficier à tous les actionnaires, qu’ils soient majoritaires ou minoritaires.
David Meurisse : C’est exactement dans cette logique que s’inscrit le Concert MBWS. Nous ne cherchons pas à maximiser un gain à court terme, mais à garantir, par une gouvernance transparente et équilibrée, que la valeur réelle de MBWS finira par se refléter dans son cours de bourse. Dans cette perspective, l’absence d’OPA immédiate peut paradoxalement servir les minoritaires : plus le temps passe, plus la valeur intrinsèque de MBWS se renforce, et plus les chances d’une juste revalorisation augmentent.
Il reste néanmoins une réalité incontestable : la COFEPP contrôle aujourd’hui près de 80 % du capital sans avoir payé de prime de contrôle. Et surtout, une partie significative des fonds levés — près de 50 M€ — n’a toujours pas été utilisée. Cela interroge non seulement sur le caractère surdimensionné de l’augmentation de capital de 2021, mais aussi sur la stratégie de long terme retenue.
Ouverture vers l’épisode 3
Ce basculement capitalistique est une première étape. Il ouvre un nouveau chapitre : que faire de la trésorerie excédentaire de MBWS ? Les minoritaires ne sont pas opposés à une stratégie d’investissement de long terme. Mais quand les projets annoncés ne se concrétisent pas, une question se pose : pourquoi ne pas redistribuer une partie de ces fonds ? C’est précisément l’objet du prochain épisode : MBWS : une trésorerie excédentaire, mais pas de dividende et pas d’investissement.