Série : « Un abus de minorité ! » – S01E05 – Le déréférencement de William Peel : une marque sacrifiée ?
Introduction : le signal faible qui en dit long
Depuis des mois, nous alertons sur les conséquences du verrouillage de la gouvernance de MBWS. Or voilà que l’un de ses actifs les plus emblématiques, la marque William Peel, subit une secousse commerciale d’une ampleur inédite. Ce n’est plus une simple alerte — c’est une perte sèche, mesurable, et qui était probablement évitable.
Le communiqué de presse de MBWS sur les résultats du premier semestre 2025 est sans appel : –8,5 % de chiffre d’affaires groupe, tiré vers le bas par –17,4 % en France, soit 7,4 millions d’euros de baisse en six mois. MBWS reconnaît elle-même que le déréférencement de William Peel dans certaines enseignes de la grande distribution a amputé le chiffre d’affaires du groupe de 6,3 %, soit environ 5,46 millions d’euros sur le semestre. Si la tendance se poursuit, la chute annuelle liée à ce seul facteur avoisinera les 10,9 millions d’euros.
William Peel encadré entre Label V et Sir Edwards jusqu’à la disparition de WP du rayon.
(Monoprix Courrier Annecy 7 décembre 2024 – 24 mars 2025 – 15 octobre 2025)
Or William Peel n’est pas une marque secondaire : c’est le premier whisky français (en volume vendu), la 15e marque (toutes catégories de produits confondues) la plus vendue en grande distribution selon Nielsen IQ (avec 53,6 M€ de ventes TTC en 2025), et représente entre 10 et 15 % du chiffre d’affaires net annuel du groupe MBWS selon nos estimations.
C’est dire si le choc est stratégique.
1. Un déréférencement ciblé, aux contours étrangement sélectifs
Daniel Pichot : Ce qui frappe d’abord, c’est le caractère ciblé du phénomène. Seule William Peel est concerné, pas les autres marques du groupe COFEPP — ni Sir Edward’s, ni Label 5, ni Poliakov — toutes distribuées par des équipes commerciales ne pouvant pas manquer d’être coordonnées au niveau du groupe COFEPP puisque l’Autorité de la Concurrence a prouvé la remontée de toutes les informations de stratégie commerciale et de suivi de MBWS ainsi que leur partage dans les diverses composantes du groupe.
David Meurisse : Exactement. Les enseignes qui ont déréférencé William Peel n’ont subi aucune pression de retrait global du portefeuille. C’est inédit. Dans le passé, lorsque la maque Label 5 avait été déréférencée l’ensemble des marques COFEPP avait fait bloc, agitant le spectre d’un retrait généralisé des linéaires. Et elles avaient obtenu gain de cause.
Aujourd’hui, c’est tout l’inverse. Aucune solidarité commerciale. Aucune défense de marque. Les équipes commerciales de terrain sont pourtant coordonnées, la logistique est commune, et les représentants du groupe couvrent les deux portefeuilles. On assiste à une forme de neutralité passive, voire à une stratégie de substitution silencieuse. Nous pourrions penser que l’effet groupe COFEPP dont MBWS joue en la faveur de WP, ce n’est pas le cas. Auchan a même précisé dans ses linéaires : « On n’aime pas quand une marque nous met la pression » avec une belle photo de bouteille WP.
Daniel Pichot : Le timing interpelle : au moment où William Peel perd de la visibilité, Label 5 et Sir Edward’s lancent simultanément des campagnes de promotion dans les enseignes concernées, ainsi que des campagnes marketing. Un hasard ? Peut-être, mais ce qui est sûr c’est quand vous avez une marque officiellement amie (selon le CEO de MBWS) vous ne profitez pas de la situation pour lancer des promotions marketing.
David Meurisse : Difficile de croire au hasard. D’autant que, plusieurs mois plus tard, aucune réintégration n’a été observée dans les linéaires classiques. Seules subsistent quelques références isolées — bouteilles de 1L ou 1,5L, à rotation lente. Autrement dit, William Peel reste hors du flux des produits à forte rotation, ce qui réduit mécaniquement son volume, sa visibilité et sa rentabilité et augmente mécaniquement les parts de marché de Label V et Sir Edward’s (COFEPP) aux dépens de leur concurrent direct William Peel. La perte sèche est donc principalement supportée par les actionnaires minoritaires de MBWS puisque l’actionnaire COFEPP se rattrape avec Label V et Sir Edward’s.
2. Une politique commerciale incohérente… ou orientée ?
Daniel Pichot : Le discours officiel de MBWS parle de « négociations commerciales difficiles » et d’un « marché des spiritueux orienté à la baisse ».
David Meurisse : Ce qui est troublant, c’est que MBWS et COFEPP via LA MARTINIQUAISE et BARDINET, ont des marques concurrentes, mais une force de vente coordonnée au niveau du groupe. Dans ce contexte, comment expliquer qu’une seule marque — William Peel — soit pénalisée par les négociations ? D’autant plus que la grande distribution n’a pas intérêt dans l’absolu de se priver de la marque de whisky la plus vendue en volume en France. Comment justifier qu’aucune action collective n’ait été menée pour défendre la visibilité d’un produit leader, présent dans le top 50 des produits les plus achetés par les Français ?
Daniel Pichot : Ce sont effectivement de vraies questions. Mais une autre question émerge : la mise à l’écart de William Peel ne favorise-t-elle pas indirectement les références détenues à 100 % par la maison-mère COFEPP ?
David Meurisse : Si cela se confirme, on parlerait d’un transfert de valeur indirect. D’un point de vue strictement COFEPP, le statu quo serait préservé : la perte de volume et de marge de MBWS serait compensée par un gain pour Label 5 ou Sir Edward’s, deux marques concurrentes du même groupe. Mais aussi par une augmentation des volumes de bulk (whisky de base) produits par la distillerie Glen Turner — filiale COFEPP qui alimente la quasi-totalité des besoins du groupe, mais seulement 25 % de ceux de MBWS, les 75 % restants étant fournis par Angus Dundee. Ce scénario est logique car mécanique.
3. Impact économique et perte de valorisation
Daniel Pichot : Les résultats financiers de MBWS pour 2025 ne sont pas simplement décevants — ils semblent calibrés pour l’être. Le groupe annonce une baisse de 6,3 % de son chiffre d’affaires au premier semestre, tout en affirmant avoir renouvelé des accords avec une très grande majorité des enseignes. Cela ressemble à une mise en scène. La perte annuelle estimée de 10,9 M€ correspondrait à une chute de 41 à 51 % du chiffre d’affaires de William Peel. Mais cette estimation semble volontairement amplifiée, comme si l’on cherchait à dramatiser l’impact.
David Meurisse : Et c’est là que le doute s’installe ! Aucun plan de relance, aucune campagne marketing, aucune stratégie de reconquête. Le management laisse filer sa marque phare sans résistance, pendant que les concurrents — Label 5 et Sir Edward’s — récupèrent les linéaires. Ce n’est pas une erreur commerciale, c’est une forme d’abandon. Et cette inertie n’est peut-être pas neutre.
Daniel Pichot : Au sein des membres de l’ASAMIS, beaucoup s’interrogent : ne s’agirait-il pas d’une stratégie d’affaiblissement volontaire de la valeur du groupe ? Car une marque déréférencée perd en visibilité, en référencement digital, en attractivité commerciale. Et William Peel n’est pas une marque secondaire — c’est le pilier du portefeuille français.
David Meurisse : Les achats de la participation de BDL en 2022 et puis les achats successifs de titres sur le marché en 2023 et 2024 par la COFEPP laissent supposer que l’actionnaire majoritaire, ne souhaite pas pérenniser MBWS en Bourse. Le script, en noircissant le tableau, en laissant planer l’idée d’une perte irrémédiable, ne serait-il pas celui de la préparation d’une opération de rachat des titres minoritaires à prix décoté ? Une fois le flottant réduit, la sortie de cote devient une formalité. Ce scénario est d’autant plus crédible que le titre MBWS est peu liquide, et que COFEPP a déjà procédé à des opérations similaires.
Daniel Pichot : C’est une stratégie cynique, mais redoutablement efficace. Les actionnaires minoritaires subiraient une double peine : une perte immédiate de revenus, et une érosion structurelle de la valeur patrimoniale. Et si la marque rebondit ensuite — ce qui est probable une fois les tensions commerciales apaisées — ce sont les initiés qui en récolteront les fruits, loin des radars du marché.
4. Stratégie du Concert MBWS : patience, accumulation et cap sur 2027
David Meurisse : Face à cette situation, certains auraient pu être tentés de vendre leurs titres. Mais la valorisation actuelle ne reflète en rien le potentiel réel du groupe, et encore moins celui de ses marques historiques. Nous restons convaincus que 2027 sera l’année de vérité — celle où la renégociation des contrats de whisky, notamment Angus/Glen Turner, permettra de dégager une marge supplémentaire majeure. À cette échéance, la sous-valorisation actuelle apparaîtra pour ce qu’elle est : une anomalie temporaire, amplifiée par un management sous influence.
Daniel Pichot : Notre stratégie est simple : Continuer – sans que cela soit une déclaration d’intention à éventuellement accumuler des titres tant que le marché sous-évalue MBWS, maintenir la pression sur la transparence des conventions intra-groupe et préparer une nouvelle expertise de gestion si les anomalies persistent en 2027. Ce qui se joue derrière William Peel, ce n’est pas qu’un différend commercial. C’est un test grandeur nature de la loyauté du groupe majoritaire envers les minoritaires, et de la sincérité de sa gouvernance.
Conclusion : une marque en otage, une gouvernance à l’épreuve
Daniel Pichot : William Peel n’est pas seulement une marque de whisky. C’est un symbole — celui d’une entreprise qui, malgré son histoire et son potentiel, semble perdre le contrôle de sa propre destinée. Ce déréférencement ciblé, cette absence de réaction, cette inertie organisée… tout cela dessine les contours d’un abandon volontaire.
David Meurisse : Le cas William Peel doit être lu comme un révélateur. Celui d’une gouvernance verrouillée, où les intérêts du groupe majoritaire priment sur l’intérêt social de la filiale cotée. Ce n’est pas une simple erreur commerciale mais cela ressemble à une stratégie de dévalorisation, destinée à affaiblir le titre MBWS pour mieux le racheter. Une fois les minoritaires évincés, la sortie de cote deviendra une formalité.
Daniel Pichot : Mais nous ne sommes pas des spectateurs. Nous sommes des contre-pouvoirs. Et nous continuerons à exiger transparence, équité et respect des engagements. Car si MBWS sous-estime ses propres atouts, les actionnaires minoritaires, eux, ne sous-estimeront pas leur droit à une valorisation juste.
Ouverture – Épisode 6 : L’année 2027 en ligne de mire
En 2027, viendra le moment crucial de la renégociation des contrats d’approvisionnement en whisky. Ce fameux contrat Angus, qui pénalise tant WP d’autant plus en cette année 2025. Ce sera aussi l’occasion de mesurer la loyauté des flux intra-groupe, la transparence des décisions et la volonté réelle du management de défendre la valeur de MBWS. L’épisode suivant analysera comment cette échéance pourrait devenir le tournant de la valorisation — ou le révélateur d’un transfert de valeur majeur.